Carmelo Manta et les enfants de Serradifalco à Toulon

Carmelo Manta et les enfants de Serradifalco à Toulon

Carmelo Manta et les enfants de Serradifalco à Toulon

 

Cet appel à communication destiné à ceux qui ont des origines italiennes et qui souhaitent les raconter m’a interpellé. Ne me connaissant aucune origine italienne, je me suis toujours senti un peu italien « de cœur ». La communauté italienne évoque des valeurs de solidarité, d’honneur, de travail et d’hospitalité et je suis persuadé que ces valeurs ont beaucoup pesé dans l’ascension sociale des Italiens venus s’installer dans le sud de la France. Le parcours de Carmelo Manta et de la communauté italienne de Serradifalco illustre particulièrement bien ces propos. L’université du Sud Toulon-Var s’est particulièrement enrichie de ce métissage méditerranéen. En effet, nombreux sont les « enfants » et « petits enfants » de Serradifalco que l’on retrouve sur les bancs de nos amphithéâtres, dans nos conseils de direction….et même derrière nos fourneaux.

Ainsi, en 1939, le jeune Carmelo vit paisiblement dans la campagne de Serradifalco, village de 12 000 habitants et se destine à la carrière d’ouvrier agricole. Il n’a pas vingt ans quand la guerre bouleverse ses projets. Mobilisé dans les bersaglieri de l’armée italienne, il est envoyé sur le front tunisien et se retrouve confronté aux atrocités d’une guerre qui n’est pas la sienne. Les bombardements déciment son régiment et il échappe de justesse au peloton d’exécution. Au mois de mai 1943, il est fait prisonnier. Le jeune soldat est alors privé de tout, affamé et surtout séparé des siens, sans nouvelles pendant des mois. Le calvaire s’achève le 3 septembre 1943, de la main-même du Maréchal Badoglio, qui signe l’armistice. Carmelo rejoint alors les forces alliées, pour venir en soutien aux débarquements de Provence et de Normandie.

En 1946, démobilisé, il rentre enfin au village et découvre une désolation : le désastre des années de rationnement et d’occupation allemande. Comme d’autres enfants du pays il décide de partir. Certains partent pour la Belgique, d’autres vers les États Unis… lui choisit Marseille.

Dès son arrivée, à Gardanne, il est recueilli par une famille de son village. Le hasard a voulu que son chemin rencontre celui d’une amie d’enfance de sa mère. Nourri et logé, on lui trouve rapidement du travail à la mine. Il évolue alors aux côtés des nombreux autres Italiens, Polonais, Espagnols, Arméniens… dans le tréfonds. Après quatre années passées dans les galeries, usé par la guerre et par le charbon, le jeune mineur tombe gravement malade : une pleurésie qui l’empêche de redescendre. Après une longue convalescence, il est employé dans une fabrique d’aluminium, chez Péchiney, et parallèlement, ouvre avec son épouse une première pizzeria à Gardanne. Au bout de quelques mois, cette nouvelle activité lui prend tout son temps. Deux années plus tard, c’est un second établissement situé à Aix qui l’occupe, ainsi que toute sa famille. Devant le succès rencontré dans ces entreprises, famille et amis de Serradifalco rejoignent « la terre promise » avec le soutien de l’« ouvrier agricole devenu patron ».

L’année 1954 est l’année de l’obtention de la nationalité française. Carmelo s’installe à Toulon et ouvre des établissements, notamment avec son ami d’enfance, Gaetano Insalaco. Les premières pizzerias sont situées dans le quartier de l’opéra, rue de Pomet, avenue Colbert et place de l’intendance. Leurs tables voient défiler le « tout Toulon » : hauts fonctionnaires, magistrats, avocats, politiques… et une multitude de vedettes, de passage à l’opéra de Toulon.

Quelques années plus tard, en 1973, la solidarité informelle se structure, l’« Amicale des enfants de Serradifalco » est créée. Elle élit domicile à la Casa d’Italia, dans les locaux de la mission catholique italienne, représentée par le père Ugo Miliaccio. L’objet qui lui est assigné est de concrétiser les liens entre Serradifalco et Toulon et surtout de venir en aide aux migrants italiens. L’association atteint bientôt les quatre cents membres. Lieu de retrouvailles, d’hospitalité et de solidarité, chaque manifestation est un succès. Ensuite, en 1978, c’est l’association des anciens combattants d’Italie (cent soixante membres) qui est créée et présidée jusqu’à ce jour par Carmelo Manta.

La solidarité, organisée, permet des opérations d’envergure. En 1987 François Trucy, Maire de Toulon, accompagné d’une délégation, se rend dans le village sicilien. Un contrat d’amitié est signé entre les deux contrées méditerranéennes, qui initient notamment des échanges d’étudiants.

En 1988, après s’être structurée, la solidarité s’institutionnalise. Ces années d’entraide et de solidarité, fondées sur une appartenance commune, sont récompensées : une agence consulaire est créée à Toulon sous la direction de Carmelo Manta.

Aujourd’hui, ce sont une quarantaine de pizzerias qui doivent quelque chose au cousin du village et on retrouve des enfants de Serradifalco dans toutes les institutions toulonnaises et varoises.

Ce parcours démontre à quel point l’appartenance peut être une force surtout lorsqu’elle s’organise, se structure, s’institutionnalise et se transmet. L’appartenance apparaît alors comme un véritable atout, générateur d’intégration, de lien social et même de réussite sociale.

 

Arnaud Lucien

 

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