Dans les yeux de Ficco

Dans les yeux de Ficco

Avant tout, je tiens à remercier Ada pour son témoignage poignant mais également pour le courage dont elle a fait preuve tout au long de l’interview.

Mon choix se porta sur elle car plus qu’une amie chère, elle fut également étudiante à l’Université Paul-Valéry et également bibliothécaire. Elle se destinait au professorat en France après ses études. Cependant un élément l’empêcha de réaliser ce rêve.

Un jour, l’idée de l’interroger sur son passé me parvint à l’esprit. J’ignorais à quel point son passé l’avait marqué et finit à son tour par me marquer. Les faits qui vont suivre sont d’autant plus touchants, qu’ils furent perçus par les yeux de l’innocence. L’interview se fit par téléphone, via une application très connue. Mais la connexion réseau ne fut quant à elle, pas au rendez-vous. Il était impossible de l’interroger en face à face ; la distance étant considérable. Cependant cela n’empêcha en rien de partager des émotions fortes…

Née le 29 avril 1990 à Elbasan en Albanie, Ada est une jeune fille issue d’une famille composée de 4 membres : Ada, sa sœur, leur père et leur mère. Ils habitaient dans une maison modeste. La mère de famille était actrice et jouait principalement dans des pièces de théâtre, et le père de famille s’était voué à sa patrie ; il était colonel dans l’armée Albanaise.

Alors que la vie suivait son cours, entre 1996 et 1997 la guerre fit rage en Albanie. Les citoyens qui possédaient des armes se rebellèrent contre le gouvernement. Anticipant cette vague de conflits, le père de famille ainsi que les voisins et amis prirent l’initiative de migrer vers l’Italie. Recevant des chaînes italiennes, les albanais avaient un aperçu de la vie italienne au travers des émissions télévisées.

L’Italie connut déjà une première vague de migrants albanais le 8 Août 1991. À bord du cargo « Vlora », 20 000 albanais débarquèrent au port de Bari en Italie. Surprenant ainsi le gouvernement italien mais également la population qui d’une part ne s’attendaient pas à cette venue massive et qui également parlèrent tous italiens. Alors que le cargo chargea du sucre en provenance de Cuba le 7 Août 1991, durant le chargement les 20 000 albanais profitèrent de l’occasion pour monter illégalement à bord et forcèrent le commandant de bord à les emmener en Italie. Pour faire face à cet afflux immense de demandeurs d’asile, le gouvernement décida de les régulariser et de créer une loi sur l’immigration en 1991. Cependant, d’autres vagues succédèrent et beaucoup venaient en bateau gonflable s’échouer sur les plages italiennes.   Suivant cet exemple, le père de famille s’empressa d’acquérir un canot gonflable pour la maudite somme de 3000 lires. Lui, ainsi que ses voisins et amis, partirent une semaine avant que la guerre n’atteigne leurs maisons. Ils arrivèrent en Italie, où ils décidèrent de s’installer à Naples. Là-bas un logement de fortune les attendait et ils pourraient ainsi démarrer une autre vie.

Une semaine plus tard ; un jour de Novembre 1997 ; la mère de famille rentra en trombe à la maison. A l’intérieur jouaient ses deux filles. À ce même instant, des tirs retentissaient non loin du domicile familial. Malgré l’opposition des grands-parents à cette migration, la mère de famille sortit un grand sac dans lequel elle plaça vêtements et nourritures. Pour ce départ, elle fit enfiler aux fillettes leurs plus beaux habits ; des habits sans trou ni souillure. Étant une famille aux revenus modestes, ils ne pouvaient se permettre des dépenses inutiles. Les fillettes prirent ce qui leur était le plus cher à leurs yeux. Ada s’empara de sa peluche favorite et sa sœur, quant à elle, s’empara d’une poignée de chouchous. Ensemble, elles partirent précipitamment rejoindre le premier navire qui se présenterait à elles.

Durant cette période, la mère de famille devait jouer le rôle principal du film : « Le vele della libertà ». Ironie du sort, ce film inspiré par les faits passés en Italie devait traiter de l’immigration. Et pour tourner le film en Italie, les réalisateurs payèrent à toute l’équipe du tournage le ticket du trajet : Dures – Bary, par voie maritime.

Arrivant au port de Dures, la mère de famille et ses filles rejoignirent l’équipe du tournage ainsi que des voisins à bord du navire. Cependant, ne pouvant payer un ticket pour ses filles, la mère de famille les cacha dans la cabine durant tout le trajet. Elle rassura ses filles en leur faisant croire qu’elles se rendaient en vacances et qu’elles allaient rejoindre leur père. Durant le trajet, elle tachait également tant bien que mal, de les faire taire, tout en s’assurant qu’elles soient le plus discrètes possible. Même s’il est vrai qu’à 5 et 7 ans, cela n’est pas toujours évident.

La mère profitait du voyage pour échanger en albanais avec l’équipe de tournage et ses voisins. Après plus d’une heure et demie de trajet, un mouvement de foule se créa. Des passagers se jetèrent par-dessus le pont afin d’échapper au contrôle des douanes. Ne possédant ni papier, ni ticket, certains passagers préféraient tenter leur chance en se jetant à l’eau plutôt que d’être contrôlés et de risquer d’être renvoyés dans leur pays. Ils rejoignirent ainsi les côtes les plus proches à la nage. À cet instant précis, la mère de famille savait que désormais le bateau venait d’entrer dans la zone italienne.

Après avoir échappé au contrôle douanier, elles quittèrent le bateau arrivé au port de Bary et se dirigèrent vers la gare la plus proche. A l’aide d’un dictionnaire embarqué, elles cherchèrent le train et toujours accompagnées des membres de l’équipe de tournage et de leurs voisins, elles passèrent la nuit dans le train qui les menait à Naples. La mère de famille savait ce qui l’attendait. Elle savait qu’elle ne pourrait retrouver un travail en tant qu’actrice et qu’elle devrait effectuer des travaux ingrats afin de subvenir aux besoins de sa famille. Elles arrivèrent à Naples au petit jour. Le père de famille se tenait sur le quai. Il les conduisit à ce qui allait être leur nouveau logement. Dans un quartier où toutes les nationalités se rejoignirent et ne formèrent qu’une communauté solidaire. En guise de logement, ils avaient une simple chambre pour eux quatre. La cuisine et les salles d’eau étaient partagées avec les autres migrants. Le plus dur n’était pas de s’intégrer mais bel et bien de supporter les regards et les critiques xénophobes.

Quelques jours plus tard, les fillettes firent admises à l’école. Là-bas, elles apprirent l’italien facilement. Quant aux parents, ils cherchèrent un travail et apprirent l’italien grâce aux échanges et aux livres. La mère de famille finit par se faire embaucher en tant que femme de ménage aux domiciles de particuliers. Mais avant de posséder des documents d’identité en règle, il lui fallait gagner la confiance de ses employeurs afin qu’ils la déclarent officiellement et qu’ils deviennent son sponsor auprès du gouvernement. À cette période en Italie, les migrants pour être en règle, devaient posséder une adresse en Italie depuis plus de 6 mois ainsi qu’un sponsor. L’année suivante, une deuxième loi sur l’immigration vit le jour ; pour remédier à l’afflux de migrants, le gouvernement mis en place des centres d’accueils dans les zones principales de débarquement, telle que les Pouilles.

Trois ans s’écoulèrent avant que les parents ne réussissent à obtenir des documents en règle. Mais pendant ce temps, ils gardèrent le contact avec leur famille restée en Albanie. Ne pouvant communiquer par lettre, de peur que le courrier n’arrive jamais à destination, ils communiquèrent essentiellement par téléphone. Ils téléphonaient depuis une cabine téléphonique en Italie vers un téléphone fixe en Albanie. Mais ces coups de fil se devaient d’être planifiés, en effet seul les familles les plus aisées possédaient un téléphone fixe chez eux (il est de même pour la télévision). Alors les familles aisées acceptaient de laisser leurs amis téléphoner à leurs proches qui avaient migrés.

Durant ces trois premières années, quelques difficultés persistaient, en effet le maître mot des italiens était : « intégration ». Faisant parfaitement comprendre leurs ressentis. Au niveau culturel, certaines coutumes et habitudes pouvaient être mal interprétées par les habitants. Par exemple : le fait que des enfants en bas âges jouent sans surveillance dans le rues. Le langage était également une barrière dans les premiers jours, la famille ne parlant que l’albanais, ils ne pouvaient se faire comprendre. Certains mots et certaines paroles n’étaient pas comprises, tout comme le nom de la peluche de Ada : « Ficco ».

Mais certains habitants furent bien au contraire accueillants et bienveillants envers la famille. Les premiers jours après leur arrivée, les habitants tentèrent de faire toute sorte de dons à la famille. Cependant par principe et par dignité, la mère de famille refusa. Et bien que les deux fillettes se soient imprégnées de la culture italienne, leurs parents leur léguèrent quelques fragments de leur pays d’origine. Qu’il s’agisse de la musique et du folklore ou bien des traditions, leur plus bel héritage demeure leur langue maternelle en guise de seconde langue.

Depuis, les parents ont déménagé à Florence, mais n’arrivant à se faire à ce dépaysement, la mère de famille retourna seule en Albanie dans leur ancienne maison. Les filles, quant à elles, continuèrent leurs études en Italie et ne regretteraient en aucun cas leur venue dans ce pays qui les a accueillis et qui leur a permis de fuir la guerre.

Ada et sa famille firent parties de la seconde vague d’immigration qui frappa l’Italie en 1997. Depuis, le gouvernement a instauré une troisième loi sur l’immigration en 2002, afin de pouvoir mieux recenser les migrants, en ajustant les conditions d’enregistrement sur le territoire.

En 2003, l’Italie recensera 233 616 albanais sur son territoire.

En 2014, l’Italie a accueillit 277 600 immigrants, seulement 29 200 d’entre eux reçurent la nationalité italienne. La majorité des migrants étaient roumains.

Estelle Carrarra, 2016

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