Ma ville invisible
– D’una città non godi le sette o le settantasette meraviglie,
ma la risposta che dà a una tua domanda.
– O la domanda che ti pone obbligandoti a rispondere.
Italo Calvino
Sortilège !
Que suis-je et où vais-je ?
Sortirai-je
Vif de cette terre ?
Marina Tsvetaieva
Au début de la deuxième partie des Villes invisibles, Kubilay Khan demande à Marco Polo : « avances-tu avec le regard tourné toujours en arrière ? ne vois-tu donc que ce qui est toujours derrière toi ? ». Marco dit : « le passé du voyageur se transforme selon l’itinéraire suivi ».
Les Villes invisibles sont, en un sens, la plus belle œuvre d’Italo Calvino, un hymne à la géographie intérieure, une feuille de route à l’intention de tous les désorientés, de ceux qui doutent de la solidité de l’espace et n’ont de mémoire et d’affection que pour le temps et ses cadences. Vingt ans à Naples. Neuf ans à Dijon. Deux à Lyon. Deux à Toulon. Deux étapes à Londres et à New York. Avanzo col capo voltato sempre all’indietro et je suis de ceux qui tapissent leur appartement de cartes géographiques pour tenter de savoir où ils se trouvent. Je déteste l’exténuant métier du touriste. Je me perds même sur un sentier tout droit. J’ai beau étudier minutieusement les cartes à toutes les échelles, établir scrupuleusement les rapports de voisinage, compter les méridiens, arpenter constamment du regard ces représentations parfaites de notre planète punctiforme, admirer les proportions, calculer les distances. Mais dès que je détourne les yeux, les confins se referment à nouveau. Rares sont les images qui échappent à ces sinistres, figées et isolées dans une mémoire incapable de se souvenir du dédale des lieux – je préfère Icare à son père.
Le statut d’étranger a alors beaucoup d’avantages. Celui de mettre une fois pour toutes le réfugié à l’abri du devoir sacré de faire visiter aux amis touristes sa ville natale n’est pas le moindre. Personne n’habite une ville « visible ». À Toulon, on retrouve aisément l’agressive impatience des Napolitains, leur disgracieuse manière d’être toujours pressés et, près du port, par une étrange transposition du vécu, je crois souvent être encore à deux pas du Castel dell’Ovo. Londres est restée longtemps la ville implicite dans mes représentations urbaines et Naples ce que Venise est pour Marco dans les récits qu’il tisse pour le Khan (et dans lesquels d’ailleurs sa ville natale imperceptiblement se dilue et se perd) : le répertoire d’images à partir desquelles il forge de nouveaux instruments pour parler du fruit de ses expéditions, des découvertes, des échanges et, essentiellement, de son désir de repartir, car...
...anche a Ipazia verrà il giorno in cui il solo mio desiderio sarà partire. So che non dovrò scendere al porto ma salire sul pinnacolo più alto della rocca ed aspettare che una nave passi lassù. Ma passerà mai? Non c’è linguaggio senza inganno. (Italo Calvino)