Intervista con un Siciliano di Tunisia - traduction

Intervista con un Siciliano di Tunisia - traduction

Interview avec un Sicilien de Tunisie, Ahmed Mjedri, traduction par Clément Hégray

Le 14 décembre 2016, j’ai interviewé un ami sicilien que j’ai rencontré il y a trois ans à Montpellier.
L’interview s’est déroulée dans le cadre d’une étude sur l’histoire de l’immigration sicilienne
en Tunisie. C’est une histoire mineure qui a intéressé mes professeurs Flaviano Pisanelli et
Isabelle Felici, et c’est grâce à eux que j’ai pensé que le témoignage d’Augustin Schiavo pourrait
être utile. Il pourrait contribuer à rassembler ces fragments d’histoire condamnés à l’oubli officiel.
Je vous laisse avec les mots d’Augustin Schiavo.

« Je m’appelle Augustin Schiavo. Je vis à Montpellier, en France, depuis presque 60 ans. Je suis
à la retraite et je passe mon temps à me balader à la « maison pour tous » près de chez moi. Je
suis un Sicilien de nationalité française, né en Tunisie.

Tu veux que je te raconte mon histoire en Tunisie ? Je suis né à Tunis en 1935 de parents siciliens
: Thomas Schiavo (Tommasino) et Françoise Grasso (Francesca). L’histoire de ma famille
avec la Tunisie a débuté avec mes grands parents. Dans les années 80, mes grands parents,
originaires de Syracuse et de Roccapalumba en Sicile, ont émigré en Tunisie. Mon grand-père
paternel était un maçon et a vécu à Tunis. Mon grand-père maternel, en revanche, était barbier
au Kef. Mes parents se sont connus à Tunis. Après ma naissance on a déménagé à Gaafour, ma
ville de cœur, où j’ai passé toute mon enfance et où j’ai connu beaucoup de belles personnes. Je
me souviens bien de mes amis Kefi, Mokrani, Khalifa et surtout Ali Ghaouar et Mustpha. Ivan,
mon frère, et Ali étaient comme deux jumeaux. Les trois étaient inséparables. Mustpha était
plutôt un ami de mon père. Il nous invitait souvent manger un couscous. A Gaafour, mon père
travaillait à la CFT (Chemin de fer tunisien). Quand il ne travaillait pas, il prenait son fusil et
partait chasser. C’était un grand chasseur, babbabbabba (1) ! Mon père fut le premier à chasser une
panthère à Gaafour.

On vivait très bien en Tunisie. À Gaafour et au Kef nous habitions tous ensemble : italiens,
maltais, français et arabes. Ma famille a toujours eu de bons rapports avec les tunisiens. Nous
faisions la fête ensemble. À la maison, on mangait tout autant italien qu’arabe. Ma mère apprit à
faire le couscous, la Mloukhia et la Shakshuka. Par exemple, moi, j’avais un ami arabe qui a étudié
l’électricité avant moi. Je l’ai invité chez moi. Nous nous mettions dans notre jardin sous les
arbres. Ma mère nous apportait du café. Il m’a montré comment faire des schémas électriques.
Moi, en retour, je lui ai enseigné le solfège.

Il y a eu des événements historiques qui ont influencé notre situation en Tunisie. Quand Mussolini
a envahi la Libye, certains en étaient fiers. Mes oncles, par exemple, étaient fascistes et
brandissaient des drapeaux pour exprimer leur soutien de Mussolini. Cela dit ils se sont fait arrêtés.
Ils les ont déportés par train pour faire des travaux forcés dans un camp de concentration
où ils enfermaient les fascistes. La seconde guerre mondiale est un autre événement historique
que nous avons vécu. Un matin, alors que ma mère faisait les courses avec mon frère, les avions
allemands ont bombardé Gaafour. Ma mère est allée se cacher chez un boucher arabe en disant
: « ya rsullah ya rsullah ! »

Beaucoup de membres de ma famille se sont naturalisés français. C’était pour différentes raisons.
Mon grand-père maternel fut le premier à le faire, pour échapper au service militaire en
Italie. Mon père, en revanche, c’était pour le travail. À l’époque, si on n’était pas français, on ne
pouvait pas travailler à la CFT.

Je n’ai jamais vu l’Italie, ni mon père, pauvre de lui. J’ai toujours voulu aller en Sicile. Tu le sais
que la Sicile est appelé les jardins de l’Europe ? J’aime mes racines et je soutiens l’équipe d’Italie,
même quand elle joue contre la France. J’ai appris l’italien grâce à la télévision. Avant, on parlait
plutôt le sicilien, le français et shuia (2) l’arabe. J’avais un cousin qui parlait parfaitement l’arabe.
Une fois il m’a emmené avec lui au Kef. On est allé au bordel et il m’a appris une chanson en
arabe avec un rythme américain : « ya Susanna terma hamra meziana (3). Trattatta tarattatta trattattattaaa
! »

Après l’indépendance de la Tunisie, nous avons dû partir en France. Mon père fut l’un des premier
à être muté. Son nouveau poste était à la SNCF à Metz. Moi, en revanche, je suis resté en
Tunisie. Je travaillais dans la base militaire de Bizerta. Je me rappelle du jour où on m’a dit : « tu
dois maintenant faire tes valises. » C’était un moment triste. J’ai pleuré tant que j’ai pu pour le
pays où je suis né et pour les belles personnes que j’ai dû laisser. C’était le mois de janvier quand
j’ai rejoint ma famille à Metz. Il neigeait. J’avais l’impression que c’était le Pôle nord. Le climat
ne nous convenait pas du tout. Alors nous avons décidé de descendre à Montpellier. »

1 : Expression que l’on pourrait traduire par « Mamma mia ! »

2 : « un peu ».

3 : « O Susanna, quel beau cul rouge as-tu ».

Année de recueillement du témoignage
année de rédaction
Langue de rédaction