Saveurs d'enfance
Naples. Je n’ai fait que la voir de loin, pour me rendre ailleurs, à Pompéi ou à Sorrente, et pourtant j’ai l’impression de la porter en moi depuis toujours. Lorsqu’il m’arrive de voir des reportages sur cette ville, de feuilleter une revue, il me semble que je retrouve les rues de mon quartier, les odeurs de mon enfance. Marseille n’est pas une ville comme toutes les autres, elle est une mosaïque de quartiers, de villages. Je suis des « Vieux Quartiers » comme d’autres sont de la Belle de Mai ou des Chutes Lavies ! Tout autour du Vieux Port, dans ces rues aux noms pittoresques de vieux métiers (rue Coutellerie, rue Bonneterie...), on n’avait pas vraiment l’impression de vivre dans une « Little Italy » car, là, se côtoyaient les descendants de ceux qui étaient venus de tous les rivages de la Méditerranée : Grecs, Arméniens, Napolitains, Lombards, Corses, Arabes... Moi-même, avec mon nom algérien hérité de mon père (j’ai acquis par mariage un nom italien) et mes ancêtres italiens et espagnols du côté de ma mère, je devais (sans en avoir conscience) être un exemple vivant de ce cosmopolitisme.
Et pourtant, même si autour de moi on ne parlait pas italien, tout au plus quelques expressions, injures ou imprécations en dialecte, mon quartier était bien une petite Naples : dans les rues se succédaient les magasins d’alimentation où l’on pouvait acheter ces produits qui sembleraient exotiques aujourd’hui et qui étaient alors notre « pain quotidien » : le baccalà mis à dessaler dans un lavoir, sur le trottoir, les spaghetti qui séchaient sur des manches à balai dans la boutique, la saucisse italienne (dite « saucisse du tcheugade » car l’épicier était mal voyant ! transcription phonétique de l’italien cecato), la pizza à la scarole (mon goûter préféré), le casadiele qui ornait les vitrines des boulangeries à l’époque pascale. Sans oublier le poisson frais des pêcheurs et des poissonnières du Vieux Port, qui résidaient au Panier et étaient pour la plupart originaires de l’île de Procida (comme ma grand-mère maternelle), de Naples et de sa région.
Je vivais là sans avoir conscience de vivre autrement que n’importe quelle autre petite Française habitant Paris, Lyon ou une autre grande ville. C’était mon quotidien et je ne me posais pas de questions. Ma grand-mère, qui bien sûr vivait avec nous, cuisinait napolitain, nous éduquait napolitain, vivait napolitain sans jamais parler autre chose que « marseillais ». C’est peut-être pour cela que moi-même, je me suis toujours sentie marseillaise avant tout, ni provençale, ni ritale, ni autre chose, non, marseillaise tout simplement.
Donc, ce ne sont pas mes origines italiennes qui ont influencé mes choix et mon parcours. Mon « italianité » est venue beaucoup plus tard, avec mes études, mes voyages, mon travail, ma connaissance de la langue et de la culture italienne. Aujourd’hui je suis plus italienne qu’alors !
Mais aujourd’hui, dans les rues de mon quartier, à la sortie de l’école, les enfants ont plus de chance de se restaurer d’un hamburger, d’une barquette de frites ou d’un doner kebab, et sûrement pas d’une portion de pizza à la scarole !
Oui, vraiment. Si je veux retrouver les saveurs de mon enfance, il est bien temps : c’est à Naples que je dois aller !
Nicole Giacomuzzo, 2006