Il viaggio di Natale Ritorno al paese

Il viaggio di Natale Ritorno al paese

L’été dernier je suis repassé devant la gare de Torino Porta Nuova. Une éternité que je ne la voyais pas. Des souvenirs intenses rejaillissent dans ma mémoire. Ceux de l’émotion du retour ! C’était le début des années 1970, j’avais sept ou huit ans, juste avant les fêtes de Noël. Nous, familles du Sud nous rentrions au pays pour les fêtes de fin d’année. Le voyage était préparé comme un plan de bataille, car c’était une vraie épreuve avant la joie des retrouvailles. J’ai assisté depuis à plusieurs grands départs à la gare de Paris-Gare de Lyon, noyé sous la foule, mais ma mémoire d’enfant ne me laisse pas les mêmes souvenirs.

Ces départs étaient préparés comme un vrai cérémonial et nous, enfants, sentions monter cette envie et cette joie de retrouver le village. Pour nos parents ou grands-parents, ils s’apparentaient plutôt à une épreuve de force, d’extrême tension, afin que toute la famille puisse voyager dans des conditions dignes. Nous étions en Savoie. À l’époque il y avait six ou huit trains par jour qui reliaient Lyon ou Paris à Turin et qui passaient par Chambéry. Des trains dont le nom sonnait bon le Bel Paese. Les plus connus, qui hélas ont disparu avec la grande vitesse et les avions low-cost, étaient les trains de nuit reliant les grandes villes italiennes à Paris. Il Palatino pour Rome, Il Galileo jusqu’à Florence, il Rialto pour Venise, ou même le Parthénon-Express reliant Brindisi en passant par le Saint-Gothard en Suisse. Les trains de journée, eux, partaient plus tôt de Paris ou de Lyon pour relier le nord de l’Italie, Turin ou Milan. De là, les trains de nuit italiens desservaient il Meridione.

Les départs étaient minutieusement préparés suivant un rite bien pensé. D’abord passer au consulat à Chambéry pour récupérer les bons de réduction délivrés par l’État italien pour les voyages de leurs ressortissants. Une fois par an chaque citoyen italien habitant à l’étranger avait droit à un bon de réduction (30 %, de mémoire) valable sur un aller-retour à destination de l’Italie. L’achat du billet se faisait à l’agence Wasteels, agence spécialisée notamment vers les destinations italiennes. Les premiers jours de décembre, le consulat et l’agence Wasteels étaient pris d’assaut par des troupes de méridionaux. À chaque fois, une matinée entière était nécessaire pour le retrait d’un bon de réduction et l’achat d’un billet. Il faut dire que les réservations des places ou des couchettes se faisaient par téléphone. Pas de fax ou de mail, mais en direct : l’agence téléphonait pour chaque client à la gare de Torino Porta Nuova pour connaître les disponibilités. Un manège sans fin ou chaque patriarche négociait le meilleur emplacement pour sa famille. Choisir le milieu du wagon pour ne pas être sur les roues, choisir des wagons avec des compartiments de six places et pas huit pour éviter la promiscuité, éviter i treni locali pour préférer i direttissimi (i rapidi étaient trop chers)... Pour nous, il n’y avait pas de réservation, mais un autre plan !

Le jour du départ, grand-père et papa partaient en éclaireurs. Ils prenaient le premier train du matin à Chambéry. Arrivée à Turin avant midi pour l’avant-garde de la bataille du jour. Objectif : trouver des places dans le train du soir pour toute la famille. Quelques bouteilles de vin français ou quelques plaques de chocolat devraient faire l’affaire. Arrivée à la gare de Torino Porta Nuova, l’équipe partait vers le dépôt de la gare, où tous les trains étaient préparés. Là à la recherche du train mythique : il treno del Sole. Un train mythique pour tout un peuple. Le train de nuit qui reliait le nord au sud de l’Italie. Un train immense, qui était tronçonné au fur et à mesure du parcours. Les premiers wagons étaient retirés à Villa San Giovanni direction Reggio Calabria. Ensuite venait le parcours sicilien : pour Palerme, Agrigento, Siracusa, Catania...

Le dépôt de la gare de Torino Porta Nuova était le fief des compaesani. Chacun mettait un point d’honneur à préparer le train à destination de sa capitale. Ces trains de grande longueur comportaient tous types de wagons. Un ou deux wagons-lits, très peu, car la clientèle n’était pas adaptée ; quelques wagons couchettes avec six places par compartiment, des wagons avec des sièges coulissants permettant d’obtenir une banquette unique dans le compartiment durant le voyage de nuit et de nombreux wagons avec des sièges fixes disposés par huit par compartiment, très peu confortables. L’objectif était donc d’obtenir un compartiment avec la banquette nocturne unique pour toute la famille. Il était important de ne pas se tromper et de ne pas s’installer dans un wagon destiné aux réservations payantes. C’était pour ces conseils et ces laissez-passer que le vin et le chocolat français faisaient mouche à chaque fois ! Installés dans notre compartiment, papa et grand- père n’avaient plus qu’à attendre la suite.

Le reste de la famille, les femmes et les enfants, partait en début d’après-midi de Chambéry. Arrivée à Porta Nuova vers dix-sept heures. Les hommes étant en embuscade dans le train encore au dépôt, les femmes se chargeaient des valises et des cartons. À la descente à Torino, trouver il facchino était leur seule préoccupation et négocier le prix de la course, pour se transporter sur le quai du grand départ, celui vers la Calabre. Il treno del Sole partait autour de vingt-et-une heures le soir, mais il était à quai dès dix-neuf heures. Au fur et mesure que l’heure de la mise à quai approchait, la foule grandissait pour devenir un océan, où se retrouvaient tous les méridionaux en transit par Torino. La rumeur initiale devenait de plus en plus forte, expression de la tension et des craintes du moment : trouver une place pour éviter de voyager une nuit entière debout. Cet océan vrombissait d’intonations bien de chez nous. L’usine FIAT venait de fermer ses portes pour les vacances de fin d’année, libérant ainsi toute cette main d’œuvre à la recherche du réconfort de sa propre terre et de sa famille.

Voilà, le train se met en place. Nous avions donc pour consigne de rester à l’écart des mouvements de la foule qui se jetait littéralement sur les portières alors même que le convoi n’était pas encore à l’arrêt. Certains même escaladaient pour entrer côté fenêtres. Des cris, des hurlements pour se frayer un chemin. Les hommes étaient en avant pour trouver la bonne place. Papa et grand- père attendaient la fin de cette invasion en lançant régulièrement des tutto occupato. Une fois le mouvement calmé, mon père descendait à notre rencontre pour charger les bagages. Valises et cartons remplis de sucre, chocolat, café, mais aussi de victuailles collectées tout au long de l’année au jardin potager et mises en conserve : aubergines, courgettes, choux-fleurs à l’huile, cornichons... De quoi offrir à chaque cousin et ami, pour démontrer aussi que la culture culinaire calabraise avait une continuité de l’autre côté des Alpes. Voilà, nous étions fin prêts pour le départ, deux heures à attendre et pourtant encore un moment important nous attendait.

Un moment fort avant le départ était notre sortie de la gare pour retrouver le pizzaiolo de via Roma. C’était un temps important pour nous, enfants. Grand-père appelait mon frère et moi dans le corridor du train, pour éviter d’attirer l’attention du dernier de la fratrie encore trop jeune. On savait ce que cela voulait dire. Il fallait traverser tout Torino Porta Nuova. C’était la plus grande gare que nous avions jamais vue. Plus de vingt quais alignés, pleins à craquer d’immigrés sur le retour au pays pour les fêtes de Noël. Au bout de ce quai interminable, l’immense hall de gare paré de marbre. Nous ne devions pas trop nous éloigner et ne pas perdre de temps. Sortis sur le parvis de la gare, on traverse il corso Vittorio Emanuele pour s’engouffrer via Roma. Le ballet des trams orange turinois nous ébahissait toujours autant. Pour nos yeux d’enfants, ce sont des vrais jouets pour adultes. Il pizzaiolo se trouvait juste à l’entrée de via Roma. Ravitaillement pour la soirée et pour la famille. À la sortie, passage obligé à la pâtisserie sicilienne située juste en face. Achat de quelques cannoli pour tenir la nuit. Allez, on rentre, il se fait tard. Un détour à la fontaine de la gare pour un lavage de mains avant de déguster notre premier plat italien depuis le retour des vacances d’été. Nonna et maman nous attendaient de pied ferme, et bien sûr grand-père avait eu son sermon quotidien. Les reproches classiques : tu as fait le tour de la ville, ces pauvres gamins doivent être fatigués... C’était un rituel du soir chez mes grands-parents.

On entend le coup de sifflet du chef de gare, le train s’ébranle difficilement, on ressent le plaisir de toutes ces personnes et surtout leur hâte que tout se termine, car elles sont pour la plupart très mal installées. Après avoir avalé notre pizza et notre cannolo, plongés dans l’ambiance du voyage, nos parents nous racontent leur premier trajet. Pas si vieux que cela début, des années 1960, encore avec des locomotives à vapeur. Et la découverte de la Savoie avec comme premier arrêt Modane, sous la neige. Une rencontre, un traumatisme avec le froid de ce pays de montagne. L’heure avançant, le couvre-feu est décrété, nous venions juste de partir d’Asti, déjà une heure de voyage. Extinction des lumières et silence dans le compartiment.

Le réveil était en apothéose. Le matin autour de sept heures nous arrivions à Napoli. Personne sur le quai, et pour cause, tout le monde continue encore plus au sud. Le cri des guaglione nous tire de notre sommeil. Ces jeunes adolescents, panier à la main, vantent les mérites de leur pizza : la vraie, quella di Napoli. Une simple garniture soit d’anchois soit de mozzarella, mais rien de plus et l’odeur de l’origan. Nous, curieux, on ouvre la porte du compartiment pour accéder à la vue. Nonna la referme aussitôt : « Il y a le choléra, non aprite ! »

On repart de Napoli et on longe la côte Amalfitaine. On voit la mer pour la première fois durant ce voyage, entrecoupée de longs trous noirs des tunnels. C’est l’extase, elle nous accompagne, maintenant, jusqu’au bout du voyage. La fatigue commence à se faire sentir, mais le réconfort se trouve à moins de cinq heures. Salerno, Battipaglia, Sapri, Maratea, Scalea. Voilà, nous sommes en Calabre, s’exclame grand-père. C’est comme si nous étions arrivés et pourtant encore trois heures à tenir. Cela devient interminable. Lamezia Terme, le grand-père nous approche du finestrino : « Regardez, le temps est clair, nous devrions voir Stromboli ». Un panache de fumée au loin nous laisse imaginer cette montagne sacrée d’Éole. Le train file, l’heure aussi. Gioia Tauro, Palmi, Bagnara, Scilla, voilà la Sicilia et son pylône la reliant au continent. Grand-père prend le temps de nous raconter l’épisode d’Ulysse. Le choix entre les deux monstres du détroit Cariddi e Scilla (Charybde et Scylla). Ulysse s’en sort encore une fois !

Nous voilà arrivés à Villa San Giovanni, dernière gare avant Reggio. Un moment important du voyage. Pour les Siciliens, c’est le moment important où ils vont retrouver leur île. Le train est découpé en tronçons de quatre wagons. Chaque tronçon va être enfourné avec minutie dans le ferry qui attend la gueule grande ouverte.

Pour nous, plus qu’un quart d’heure avant la délivrance. Le train file sur le lungomare, on voit Messina de l’autre côté du détroit, le soleil est là pour nous accueillir ! Reggio Calabria Centrale, le quai est bondé, la famille, les oncles, les cousins, tous sont là pour accueillir les travailleurs du Nord. Des cris, des pleurs, des applaudissements, les fêtes de Noël peuvent commencer.

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