Ma ville invisible

Ma ville invisible

– D’una città non godi le sette o le settantasette meraviglie,
ma la risposta che dà a una tua domanda.
– O la domanda che ti pone obbligandoti a rispondere.
Italo Calvino

 

Sortilège !
Que suis-je et où vais-je ?
Sortirai-je
Vif de cette terre ?
Marina Tsvetaieva

 

Au début de la deuxième partie des Villes invisibles, Kubilay Khan demande à Marco Polo : « avances-tu avec le regard tourné toujours en arrière ? ne vois-tu donc que ce qui est toujours derrière toi ? ». Marco dit : « le passé du voyageur se transforme selon l’itinéraire suivi ».

Les Villes invisibles sont, en un sens, la plus belle œuvre d’Italo Calvino, un hymne à la géographie intérieure, une feuille de route à l’intention de tous les désorientés, de ceux qui doutent de la solidité de l’espace et n’ont de mémoire et d’affection que pour le temps et ses cadences. Vingt ans à Naples. Neuf ans à Dijon. Deux à Lyon. Deux à Toulon. Deux étapes à Londres et à New York. Avanzo col capo voltato sempre all’indietro et je suis de ceux qui tapissent leur appartement de cartes géographiques pour tenter de savoir où ils se trouvent. Je déteste l’exténuant métier du touriste. Je me perds même sur un sentier tout droit. J’ai beau étudier minutieusement les cartes à toutes les échelles, établir scrupuleusement les rapports de voisinage, compter les méridiens, arpenter constamment du regard ces représentations parfaites de notre planète punctiforme, admirer les proportions, calculer les distances. Mais dès que je détourne les yeux, les confins se referment à nouveau. Rares sont les images qui échappent à ces sinistres, figées et isolées dans une mémoire incapable de se souvenir du dédale des lieux – je préfère Icare à son père.

Le statut d’étranger a alors beaucoup d’avantages. Celui de mettre une fois pour toutes le réfugié à l’abri du devoir sacré de faire visiter aux amis touristes sa ville natale n’est pas le moindre. Personne n’habite une ville « visible ». À Toulon, on retrouve aisément l’agressive impatience des Napolitains, leur disgracieuse manière d’être toujours pressés et, près du port, par une étrange transposition du vécu, je crois souvent être encore à deux pas du Castel dell’Ovo. Londres est restée longtemps la ville implicite dans mes représentations urbaines et Naples ce que Venise est pour Marco dans les récits qu’il tisse pour le Khan (et dans lesquels d’ailleurs sa ville natale imperceptiblement se dilue et se perd) : le répertoire d’images à partir desquelles il forge de nouveaux instruments pour parler du fruit de ses expéditions, des découvertes, des échanges et, essentiellement, de son désir de repartir, car...

 

...anche a Ipazia verrà il giorno in cui il solo mio desiderio sarà partire. So che non dovrò scendere al porto ma salire sul pinnacolo più alto della rocca ed aspettare che una nave passi lassù. Ma passerà mai? Non c’è linguaggio senza inganno. (Italo Calvino)

 

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Col bacio ultimo MCMIX

Col bacio ultimo MCMIX

Les Adelaide, les Simona, les Carlotta et Giuseppina, les Ada et Argia et Chiara, Ester aussi et Esterina, et même une Faustine – et la infelice moglie di Oscar Wilde (dans le cimetière protestant)

– et le panthéon d’Agrippa là-bas et son bosquet régulier semé de mausolées réguliers – et les bosquets irréguliers à chapelles romaines régulières visibles, hors verdure à mi-colline, d’une bretelle est d’autoroute Aurelia – et ces listes de soldats de vingt guerres (on s’y perd) et ces tankistes italiens tombés d’un mauvais côté, noirâtre et plâtreux, d’oasis à El Alamein – et le monument néoclassique à Mazzini – et le Silence étrécissant ses lèvres nues d’un doigt furtif – et cette Pitié énergique appuyée d’une ancre haute – et cette façon, bedonnante, d’orateur du Risorgimento à barbichette et redingote qui eut pourtant lui aussi ses hontes, ses palinodies, comme nous tous, et même ses amours

– et les tumulus de glaise, et les carrés de concessions trentenaires échus en cours d’exhumation – et cette Iris (1920-2002), cette Iris épouse Vaccina à permanente bouclée de buraliste – et ces vieillardes réalistes sculptées, quasi photographiquement, par le ciseau hellénistique et renfrogné d’Orengo – et ces allégories mamelues à longueur de portiques inférieurs, supérieurs, au ponant, au levant, couverts comme des galeries de musée, où coulissent de hautes échelles de bibliothèque (on se demande bien pourquoi, sinon pour rafraîchir l’inscription d’un ultime tombeau entassé là-haut, sur une dizaine d’autres, sous la voûte) – et le solécisme d’une épitaphe de bronze sur l’amour plus fort que la mort – et cette Mélancolie éplorée de la tombe Ammirato, pliée, assise, tête dans les mains et chevelure infinie coulant depuis la nuque à revers comme une fine cataracte – et le nocher bien empenné, arqué sur les voiles de l’esquif qu’il cargue, presque plus haut qu’elles, pour conduire de tout son poids de muscle nos vies jusqu’au havre ultime avec notre ultime poids de cendre – et cet éphèbe alexandrin à cithare biblique de bois prise de dos (une moitié de joug) et dont une lanière fine sépare la chevelure d’albâtre en deux étages – et cet Ange-femme à crinière, très larges hanches et poitrine mi-nue ressuscitée du bris très rythmique d’un reste de croix au sol (telle cette Pâque noir funèbre, gris funèbre et blanc défroissé du peintre Celesti l’autre jour, à Desenzano, dont un Archange musculeux, parmi d’autres à l’écart et comme pour les en protéger, contrait à mi-chute la dalle de haut marbre du Sauveur, invisible, en train d’éclater)

– ah et toi, enfin nue, sans croix, avec tes seins nus de marbre noir (à galbe lisse et dur comme du fer sous mes doigts et pointe ronde sous mon doigt), abandonnée, presque cambrée, hors d’une houle noire, sous ton pœcile, dans les bras d’un dieu puissamment inachevé et, de dos, presque infernal, comme l’amour, lequel

Col bacio ultimo

Qui la salma depose

Di

Maria Francesca Delmas

mcmix

– puis le sombre jardinet juif, à palmier désert, derrière sa mastaba, sans allégorie ni statue mais, sous leur dalle hébraïque, la nommée Venise avec son David (ou le nommé David Venise) – puis l’allée évangélique (un mail en courbe à premier nom allemand) – puis, à l’autre bout, le terrain à ciel toujours ouvert des sépultures imprévues avec son cent de tas de glaise neufs, sa pelleteuse jaune Komatsu et ses traces de chenilles sur le l’emblavure meuble – puis la chapelle ardente, à la sortie du cimetière, sans personne, que neuf cercueils blonds à roulettes chargés de gerbes (neuf d’un côté et sept en face), poussés jusques ici depuis quelques jeunes hôpitaux dans une bise brune de crésyl et leur senteur âpre de branchages cassés à sève mortuaire et macérée – puis, devant la sortie monumentale, l’étal aux fleurs avec cette autre odeur (hors saison) de chrysanthèmes sans chrysanthèmes – de mimosa sans mimosa – de muguet sans hampe ni clochette – de roses peintes d’une flamme de rose – et de vrais tournesols (astre, noir, d’où s’irradie à l’infini la blancheur grenue d’un jeune feu)

– et puis moi, enfin, là, passée la sortie, dans l’étroitissime baraquement d’un bar, devant mon cappuccino que j’ai laissé froidir, le temps de ce poème.

II

Les Adriana, les Erminia, Violante, Vittoria et, là-haut, aux limites de l’enceinte, au-dessus du haut calvaire républicain de Mazzini (grotte tronquée et gros pilastres néo-doriques surbaissés), les Gemma, Enrichetta (professeur), Giuditta (institutrice ?). Aussi les enfants Luisa Puppo (1894-1900) et Franco Puppo (1935-1936), dans le même jouet d’un tombeau, à 36 années de distance, comme tante et neveu (tante de six ans, neveu de quelques mois) ; morts à une enfance, rieuse, qu’ils n’ont pas connue mais que d’autres, pour eux, auront éternelle rerêvée. Et l’autre Giuditta, de la tombe Varni, jeune morte un peu académique, avec son chien d’albâtre vivant, museau rond, œil vide et pensif (la faute au marbre) posé sur sa cuisse, presque au ras du sol.

C’est fou les milliers de mortes et de morts (les morts, il est vrai, sont infiniment plus nombreux que les vivants) que l’on peut entasser sur un hectare, entre cendre verte, ifs, cyprès endimanchés, chapelles néo-gothiques dentelées, columbarium récent pendu sur une galerie quasi thermale à vasistas, et les kilomètres qu’il faut entre tout cela déplier, replier, à nouveau déplier à mi-coteau pour retomber enfin, presque par hasard, sur le haut Maïmonide-Jérémie du haut escalier du vaste panthéon toujours fermé.

Sans compter, sous les cryptoportiques, tous ces défunts par dizaines et centaines, joint à joint, pieds à pieds, sur quoi l’on est bien forcé de marcher en faisant jouer quelques dalles entre monuments et arcades des bas-côtés ; ni le carré juif, tout là-bas, à l’écart, tombes humides et cassées, moins nombreuses cependant que tous les autres dont le nom (lévites, croyants et non-croyants) figure au fronton du ghetto-mastaba et qui ne sont pas revenus.

Mais toi, toujours toi, à nouveau aujourd’hui, presque nue : tes seins nus, un peu évasés, de marbre obscur, lisses comme du bronze ; leur pointe dure et évasée sous ma caresse ; ton visage classique, un peu large de statue (foncée par l’usure de l’air) que soutient et replie l’amant puissant, inachevé parce qu’en vie (ce jour où il te vit nue pour la première fois et dont le galbe persiste à jamais au-delà du jour noir) ; qui te baise à l’angle de la tête, à travers ta forte chevelure, belle forme inclinée, bien mieux qu’un poème, sur la forme physique d’une vie, et

Avec ce baiser ultime

Ici la dépouille a déposé

De

Maria Francesca Delmas

mcmix

III

Riomaggiore (Cinque Terre), le lendemain. Village-précipice rose bâti dans le basalte quasi verticalement strié d’un torrent, au fond d’un amphithéâtre infini de restanques grises à olivettes,

où l’on ne cesse de monter et de descendre, à tâtons, de remonter et, périlleusement, de redescendre en entendant la mer de dos, sans jamais la voir, par d’immenses marches coupantes et serrées, et cent brefs culs-de-sac autour d’un boyau surélevé presque central à 1000 chats, que je mettrai du temps à retrouver, barré d’échelles sur grenier et même d’un oratoire sur le vide,

mais où l’on finit par vous allouer un repli de chambre aveugle (ni serviette ni savon, mais un frigidaire, un peu d’alcool de myrte dans un verre et une table très bancale, parce que c’est le sol qui l’est), avec un coin de porte-fenêtre sur le feu matériel de l’infini qu’on n’avait pas d’abord vu,

et que dessert même une gare souterraine dans sa lueur suintante de grotte et, d’heure en heure, son bruit sismique et lointain de chenilles sur roulettes ;

et là, moi, voisin d’une Elda et d’une Andreina, pensant encore à toi, avec cette vide saveur de temps à l’esprit, dans une salive d’âme :

un alliage effacé de cannelle jaunie et zabaglione jaune paille dans la paille d’un cornet à glace

et, à l’instant ici, une poire oblongue et dure, fanée de vieux cuivre, son pâle caramel végétal à goût grenu de chair blanche

tandis que, là-bas, au fond de son canyon d’ardoise, l’épars cliquetis rythmique d’une noire chanson de Shadeh, voilée d’indifférence, King of sorrow, qu’il faudra réentendre de nuit, lutte avec un proche cliquetis de tables

(et que demain, quand nous ne serons plus là, aussi bien il pleuvra sur la mer obscure et sur cette unique lumière, là-bas, au cœur des flots, étoile polaire inverse et fixe).

IV

Quatrième jour. Achat d’un élixir des Cinque Terre, d’un litre (rouge-noir) de luna, à bouchon poli en marbre gris de Carrare, et d’un peu de miel d’acacia de Levanto, clair comme l’air quand on le laisse couler d’une cuiller sur un bout de mie.

Puis retour vers Gênes ; via la mer, grise et fine, de Rapallo.

Où tu es peut-être venue, toi dont j’ignore tout, transporter ta lassitude à jeunes cernes d’un soir le long de l’étroite corniche tropicale de Santa Margherita Ligure, en écoutant Les Roses blanches de l’oubli, entre les gemmes éparses et lointaines, là-bas, d’une valse inattendue et regoûter, déjà de l’âme, sur ta langue l’hostie mauve d’un sorbet à vague violette 1909, attiédi de claire mûre fondue, sous de faibles flammes de l’Ourse et la garde distraite d’une quasi-aînée (œil profond, tailleur blanc, foulard d’infi rmière amidonné) du nom d’Edera, à l’entrée de la presqu’île-péninsule de Portofi no, dans l’allée botanique d’un palace-fortin Valery Larbaud (eucalyptus, liquidambar, rose gravier britannique) et l’oraison, là-bas, à jamais dérobée et perpétuelle des distances.

Oui, les Edera, les Rosanna, les Perpetua, les...

puis Gênes, à nouveau, soudain ; Gênes, banlieue provisoire d’un cimetière immense, fixe et vert ;

entrée, à nouveau, de l’enceinte ; kiosque aux fleuristes ; et ce bouquet, ton bouquet, serré contre son étui de cellophane, sous une brise vernissée de pinède-cyprès (ah et enfin cette odeur qui me poursuit depuis hier, où mettre enfin un nom funéraire d’enfance : cœur rougi, juste violâtre et macéré, de très vieux œillets) ;

puis la pelleteuse Komatsu, son cercueil gris-bleu abandonné, grosse huche à brancards sur deux roues de bicyclette pour porter d’autres cercueils à travers la terre meuble où pourrait rester prise une voiture à pneus ;

le petit chien d’albâtre noirci de la tombe Varni, qu’une lampe rasante à phosphore pourrait rendre à nouveau translucide pour la photographie ; puisque tout cela commença par être neuf et neigeux comme un régiment de formes neuves, plus neuf que l’antique même restauré (ainsi nous enseigne Mark Twain, passant par ici, dans ses Innocents Abroad de 1869) ;

la statue réaliste, énergique et néo-hellénistique, toujours très fleurie 125 ans après, de la vendeuse de noisettines, fièrement tressées en un immense rosaire de main à main, noué de deux tourtes à celle de droite, fier commerce qui lui permit, sou après sou, pluie après pluie, midi après midi, de se payer en l’absence d’héritiers pour une autre vie, éternelle celle-là, ce chef-d’œuvre d’Orengo et une épitaphe en langue ligure (un peu étrusque) du poète dialectal G.B. Vigo, vantant sa ténacité ;

puis toi, soudain, ici, qui as beaucoup moins de succès, toi :

une dernière fois, la pointe froide et presque arrondie de tes seins noirs dans les bras de l’amant païen à cheveux ras, épaules immenses, mal taillées, comme la vie noire encore en vie

(tes seins, de vrais seins, uniques, les tiens, pris sur le motif, non point des seins académiques de déité, du temps où, immortelle, tu posas pour eux, superbe et close, les yeux clos, dans la très-papale Italie de mcmix,

sans jamais penser qu’on en ferait pour un siècle, et sans nul trait de croix, ce sombre et pour toi et sur toi à jamais vivant tombeau) ;

puis, enfin, à la sortie, tout là-bas,

ce visage classique et sain de jeune brune, à longs cils et grands yeux effilés, classiques et sages, à la Laura Pausini, et penché, et clair et légèrement ombré dans le mystère obscur d’une baraque de fleuriste (quelle voix de brune cette grande adolescente brune peut-elle donc bien avoir ?), dont l’âge fera         peut-être une mégère

mais dont la beauté, pour l’heure, échappe à la beauté et à la vie, même, qui la porte et que je baptise, sur-le-champ, Silvana.

*

N’être revenu à Gênes que pour ça.

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Chante-moi notre histoire

Chante-moi notre histoire

Le 10 mars, elle fêtera ses 90 ans, « la nonna ». Elle semble mesurer 1m50, avec les années elle a perdu des centimètres. Elle vit seule dans un trois pièces depuis 22 longues années déjà, depuis que, le nonno est parti rejoindre le paradis. Le nonno et la nonna, ce sont mes grands-parents, tous deux nés en Sicile dans la province de Enna dans un tout petit village appelé « Pietraperzia ». Il lui reste six enfants sur sept et s’organise à merveille pour aller chaque dimanche leur rendre visite à tour de rôle.

Nous sommes là, autour d’un café et de son fameux marbré qui sent la fécule de pomme de terre. Elle me demande d’un ton sérieux : « alors c’est pourquoi l’intervista ? ». Ma nonna parle moitié français et moitié… je ne dirais pas italien, mais plutôt dialecte, le dialecte de chez elle à Pietraperzia. J’ai grandi avec cette langue et j’ai toujours cru qu’elle parlait français.

Leurs histoires je les connais toutes par cœur mais c’est avec plaisir que je questionne ma grand-mère. On évoque leur jeunesse, leur fuite à dos d’âne et leur mariage qui a eu lieu en Sicile en 1952 et on entre finalement dans le vif du sujet : le départ.

Nonna pourquoi vous êtes partis avec le nonno ?

Ils ont quitté la Sicile parce qu’il n’y avait pas de travail, et parce qu’ils n’avaient pas d’argent. Au village mon grand-père travaillait la terre des autres, c’est comme ça qu’il a rencontré ma grand-mère. Elle, faisait partie d’une famille plus aisée et mon grand-père travaillait pour ces parents. Elle l’observait depuis sa fenêtre et lui du jardin. De ces échanges de regards est né leur amour, un amour qui était surveillé et guère apprécié par la famille de ma grand-mère. Alors, pour pouvoir vivre librement leur histoire ils décidèrent de s’enfuir pour se marier. Fonder un foyer, gérer une famille n’était pas chose facile et même si la famille de ma grand-mère était dans une situation financière confortable personne ne leur vint en aide. Ma grand-mère me confia d’un ton tragique que sa propre mère ne lui donnait même pas un morceau de pain.

Le grand-frère à mon grand-père était déjà en France et il lui avait dit : « Michel, viens en France, rejoins-moi, ici il y a du travail pour nous et tu as trois enfants, tu auras le droit à des aides ». Je découvre alors, que les aides sociales en France existaient déjà à leur époque.

C’est en avril 1959, que mon grand-père quitta sa femme, ses trois enfants, ses parents et sa terre natale pour rejoindre la France. Il s’en alla seul pour commencer à travailler et une fois qu’il aurait trouvé un logement alors, ma grand-mère et les enfants le rejoindraient.

Il fit le voyage en train avec une grosse valise verte, se souvient ma grand-mère, il arriva à la gare de Metz où l’attendait son frère et logea à Metz dans une chambre avec d’autres messieurs, me dit-elle. Quelques jours plus tard il commença à travailler à l’usine de sidérurgie de Sacilor Sollac à Hagondange. Ce n’est qu’un an et demi plus tard, que ma grand-mère, ma tante Rosette âgée de cinq ans, mon oncle Nino quatre ans et mon oncle Enzo âgé d’à peine deux ans, quittèrent à leur tour la Sicile pour rejoindre mon grand-père.

Nonna, tu étais contente de venir en France ?

Oui elle l’était, même si les débuts étaient difficiles : entre les logements insalubres, le problème de la langue et le manque de ses parents. Ma grand-mère a clairement aimé la France dès son arrivée, elle n’a jamais eu le moindre regret, elle parle un Français appris sur le tas mais elle sait se faire comprendre. En Sicile elle a quitté l’école très tôt et ne sait, ni lire, ni écrire. Et pourtant, les chiffres elle connait, elle est adepte du tiercé et ne rate pas une occasion pour y jouer.

Je continue de la questionner, mais elle m’interrompt pour me raconter une anecdote qui pour elle semble importante.

« Tu sais, un jour, alors que le nonno partait travailler il s’est fait agresser, on l’a pris pour un arabe car il avait la pela scura et on lui a ordonné de payer une cotisation à la sortie du train, il a assommé le monsieur avec son sac et s’est enfui ».

C’est le seul souvenir qu’elle a, elle n’a pas de souvenirs de problèmes d’intégration ou de rejets des autres. En même temps, ils étaient nombreux les italiens à Froidcul, c’est là qu’ils avaient finalement élu domicile.

Ma grand-mère n’est jamais seule, l’ après-midi c’est le moment du café avec les copines. Je me souviens d’un jour, alors que je lui parlais en italien elle m’a demandé de lui parler français car son amie ne comprenait pas quand je lui parlais en Italien et sa « coupine » comme elle dit, devait absolument comprendre ce que je racontais. Quand j’ai commencé l’italien au collège, j’étais fière de pouvoir communiquer avec elle dans sa langue, mais elle continuait à parler en français sans même faire attention à mes progrès.

Mon grand-père c’était l’opposé il aimait sa terre et vivait très mal la déchirure avec sa mère. Il n’est plus là pour le raconter mais je me souviens de ses voyages, il partait dans sa maison en Sicile d’avril à septembre chaque année. Sa maison, il l’a achetée bien après être arrivé en France et envisageait un retour au Pays pour toujours avec toute sa famille.

Maman se mêle à notre interview et parle pour lui, elle se souvient qu’il partait même de longs mois seul pour aller voir sa mère et qu’elle restait avec ses frères et sœur et sa maman. « Mon père était fou de son pays et sa mère lui manquait », dit-elle.

Lorsqu’il était en France, il était entouré d’italiens, fréquentait « la società », un club d’italiens. Il y jouait aux cartes et y rencontrait ses amis. Les week-ends c’était pétanque, ça je m’en souviens, s’il perdait on l’entendait blasphémer en italien et il ne fallait surtout pas que l’on soit à côté de lui au risque d’entendre qu’il avait perdu à cause de nous. Mon grand-père n’a jamais réellement parlé français en même temps il n’a jamais vraiment voulu apprendre, il était bien trop attaché à ses racines.

Dès petit, on nous a appris l’amour des racines, l’amour de la famille. Nous vivions à deux cents mètres de chez mes grands-parents et les midis nous mangions très souvent chez eux pour ne pas dire tous les jours. Les étés nous partions les rejoindre en Sicile, eux partaient en avion et nous en voiture, 2309 kilomètres c’est long, très long ! Mais ça valait vraiment le coup ! Ma nonna cuisinait la pasta al succo et mon grand-père arpentait les rues sur sa vespa rouge. Elle a beau dire qu’elle ne regrette pas de vivre en France, je me souviens combien elle était heureuse d’être sur sa terre, mais bon, ça c’était lorsqu’il était encore parmi nous.

Après 1998, année de son décès elle a dû y retourner une ou deux fois pas plus et notre lieu de vacances en famille devint la Grande-motte. Je détestais la France, je détestais le sud, je voulais retourner là-bas chez mon grand-père, je voulais le retrouver. J’aimais ces vacances sans télévision, où l’on jouait avec les escargots qu’il avait ramassés, même si nous savions que nos chers compagnons finiraient dans nos assiettes après avoir été cuisinés par la nonna.

Le 15 août c’était la fameuse fête de Ferragosto, la fête de la Madonna della cava, ma maman a même hérité de ce prénom en hommage à la sainte patronne du village de mes grands-parents. C’est une fête avec tant de significations que l’on ne fête plus réellement depuis qu’il n’est plus. Cette fête religieuse que nous fêtions en famille s’est achevée 16 août 1998.

J’ai construit mon adolescence autour de souvenirs, je n’ai pas voulu laisser partir mon grand-père, j’ai entretenu son souvenir à travers des photos, des récits de ma grand-mère et des chansons. Je me souviens qu’à Noël ils chantaient ensemble « Vola colomba » de Nilla Pizzi et je me suis empressée de l’apprendre. Je suppliais ma grand-mère de la chanter avec moi, comme pour répéter un schéma qui me manquait.

« Vola colomba bianca vola[...], fummi uniti e ci han divisi… ». (Nous étions unis et on nous a séparés...)

Ce n’est que des années après que j’ai compris la signification de cette chanson et la peine qu'elle devait éprouver en la chantant sans lui.

Ma grand-mère vit dans le dernier logement qu’ils ont eu ensemble, regarde la Rai très très fort car elle est sourde d’une oreille et sur le mur du salon elle expose avec fierté ses 30 petits-enfants, moi y comprise. Je ne souhaite pas me mettre en avant, mais c’est elle qui le dit : « Vanessa voglio bene a tutti, ma tu sei speciale ! ». Pourquoi ? Parce que je suis la seule qui comprends, parle et écrit le vrai italien ? Je ne sais pas. Toute petite déjà je chantais gaiement « mi sono innamorato di Marina… », puis au collège, j’ai découvert que cet italien que je pensais connaitre n’était autre qu’un dialecte parmi tant d’autre et qu’il me faudrait apprendre la langue comme n’importe quel français.

Mon premier voyage sans mes parents fût sans surprise Pietraperzia, où je redécouvrais les rues de mes étés d’enfance. Ce premier voyage fût intense, car je découvrais la Sicile sans lui. J’avais passé sept longues années à me convaincre qu’il n’était pas mort et qu’il était là-bas. Je ne l’ai pas retrouvé, j’ai trouvé une grande maison vide de vie, mais pleines de souvenirs, une armoire pleine de ses vêtements et des morceaux de feuilles avec des numéros. Les voyages de mon enfance se faisaient en voiture : 23 heures de route dont une traversée de 45 minutes, 2h15 d’avion était pour moi magique, une sensation d’être si proche de ce qui me paraissait petite, le bout du monde.

Je suis maman de trois enfants et ma fille a hérité du prénom Louna Maria Concetta pour ma maman et ma nonna. Mon petit dernier a deux ans et demi, compte en italien, récite l’alphabet et connait des animaux que je ne connaissais même pas. Je lui parle italien depuis qu’il est né et je m’émerveille chaque jour à chacun de ses buona notte e ti amo.

J’étudie la langue italienne pour ne pas oublier, pour ne pas l’oublier, mon grand-père, ce grand homme. Je ressens le manque de lui et le manque de la terre et je comble ce manque en partant une à trois fois par an. Là-bas, j’ai l’impression d’être plus près de lui.

Le 22 juillet 2016, j’ai réalisé mon plus grand rêve, j’ai acquis la nationalité italienne et hérité de leur maison. Ma grand-mère à décider de me la confier, parce qu’elle sait que j’aime cette maison et ce village autant que l’a aimé mon grand-père. J'y emmène mes enfants comme ont fait mes parents, je cuisine la pasta al succo et j’imagine que mon grand-père arpente les rues sur sa vespa rouge.

Petite fille d’immigrés, j’ai conscience que mes grands-parents ont dû quitter leurs racines pour pouvoir offrir une vie décente et un avenir à leurs enfants. Je suis fière de mes grands-parents qui ont su s’intégrer dans un pays sans réellement connaitre la langue et je suis honorée d’être Sicilienne, j’ai en moi cet amour de la terre et j’apprécie chacun de mes voyages.

La Sicile est magique, ses paysages sont à couper le souffle, il semble qu’à Pietraperzia le temps se soit arrêté.

Je n’ai rien changé, les meubles sont restés à leur place, il n’y a toujours pas la télévision et c’est mieux ainsi, j’ai rajouté des cadres avec des photos de nos étés dans la maison de Sicile. Là-bas, je ne suis pas la Française, mais la petite fille de Michel et Concetta, je ne vais pas en vacances, mais je rentre à la maison, je suis la relève, et je ferai tout pour que mes enfants aiment la Sicile comme je l’aime. Parce qu’on ne devrait pas oublier d’où l’on vient, il n’y a que comme ça que l'on peut réellement savoir qui on est…

Je suis Vanessa, petite-fille d’immigrés Siciliens, en troisième année de licence d’italien et je m’apprête à poursuivre un master de l’enseignement, pour enseigner l’italien et partager mon amour pour ce pays et donner envie aux élèves de l’aimer à leur tour.

À la mémoire de mon grand-père Desimone Michel parti trop tôt et à ma grand-mère que j’aime de tout mon cœur, que Dieu puisse nous offrir encore mille instants à ses côtés.

 

Année de recueillement du témoignage
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Il viaggio di Natale Ritorno al paese

Il viaggio di Natale Ritorno al paese

L’été dernier je suis repassé devant la gare de Torino Porta Nuova. Une éternité que je ne la voyais pas. Des souvenirs intenses rejaillissent dans ma mémoire. Ceux de l’émotion du retour ! C’était le début des années 1970, j’avais sept ou huit ans, juste avant les fêtes de Noël. Nous, familles du Sud nous rentrions au pays pour les fêtes de fin d’année. Le voyage était préparé comme un plan de bataille, car c’était une vraie épreuve avant la joie des retrouvailles. J’ai assisté depuis à plusieurs grands départs à la gare de Paris-Gare de Lyon, noyé sous la foule, mais ma mémoire d’enfant ne me laisse pas les mêmes souvenirs.

Ces départs étaient préparés comme un vrai cérémonial et nous, enfants, sentions monter cette envie et cette joie de retrouver le village. Pour nos parents ou grands-parents, ils s’apparentaient plutôt à une épreuve de force, d’extrême tension, afin que toute la famille puisse voyager dans des conditions dignes. Nous étions en Savoie. À l’époque il y avait six ou huit trains par jour qui reliaient Lyon ou Paris à Turin et qui passaient par Chambéry. Des trains dont le nom sonnait bon le Bel Paese. Les plus connus, qui hélas ont disparu avec la grande vitesse et les avions low-cost, étaient les trains de nuit reliant les grandes villes italiennes à Paris. Il Palatino pour Rome, Il Galileo jusqu’à Florence, il Rialto pour Venise, ou même le Parthénon-Express reliant Brindisi en passant par le Saint-Gothard en Suisse. Les trains de journée, eux, partaient plus tôt de Paris ou de Lyon pour relier le nord de l’Italie, Turin ou Milan. De là, les trains de nuit italiens desservaient il Meridione.

Les départs étaient minutieusement préparés suivant un rite bien pensé. D’abord passer au consulat à Chambéry pour récupérer les bons de réduction délivrés par l’État italien pour les voyages de leurs ressortissants. Une fois par an chaque citoyen italien habitant à l’étranger avait droit à un bon de réduction (30 %, de mémoire) valable sur un aller-retour à destination de l’Italie. L’achat du billet se faisait à l’agence Wasteels, agence spécialisée notamment vers les destinations italiennes. Les premiers jours de décembre, le consulat et l’agence Wasteels étaient pris d’assaut par des troupes de méridionaux. À chaque fois, une matinée entière était nécessaire pour le retrait d’un bon de réduction et l’achat d’un billet. Il faut dire que les réservations des places ou des couchettes se faisaient par téléphone. Pas de fax ou de mail, mais en direct : l’agence téléphonait pour chaque client à la gare de Torino Porta Nuova pour connaître les disponibilités. Un manège sans fin ou chaque patriarche négociait le meilleur emplacement pour sa famille. Choisir le milieu du wagon pour ne pas être sur les roues, choisir des wagons avec des compartiments de six places et pas huit pour éviter la promiscuité, éviter i treni locali pour préférer i direttissimi (i rapidi étaient trop chers)... Pour nous, il n’y avait pas de réservation, mais un autre plan !

Le jour du départ, grand-père et papa partaient en éclaireurs. Ils prenaient le premier train du matin à Chambéry. Arrivée à Turin avant midi pour l’avant-garde de la bataille du jour. Objectif : trouver des places dans le train du soir pour toute la famille. Quelques bouteilles de vin français ou quelques plaques de chocolat devraient faire l’affaire. Arrivée à la gare de Torino Porta Nuova, l’équipe partait vers le dépôt de la gare, où tous les trains étaient préparés. Là à la recherche du train mythique : il treno del Sole. Un train mythique pour tout un peuple. Le train de nuit qui reliait le nord au sud de l’Italie. Un train immense, qui était tronçonné au fur et à mesure du parcours. Les premiers wagons étaient retirés à Villa San Giovanni direction Reggio Calabria. Ensuite venait le parcours sicilien : pour Palerme, Agrigento, Siracusa, Catania...

Le dépôt de la gare de Torino Porta Nuova était le fief des compaesani. Chacun mettait un point d’honneur à préparer le train à destination de sa capitale. Ces trains de grande longueur comportaient tous types de wagons. Un ou deux wagons-lits, très peu, car la clientèle n’était pas adaptée ; quelques wagons couchettes avec six places par compartiment, des wagons avec des sièges coulissants permettant d’obtenir une banquette unique dans le compartiment durant le voyage de nuit et de nombreux wagons avec des sièges fixes disposés par huit par compartiment, très peu confortables. L’objectif était donc d’obtenir un compartiment avec la banquette nocturne unique pour toute la famille. Il était important de ne pas se tromper et de ne pas s’installer dans un wagon destiné aux réservations payantes. C’était pour ces conseils et ces laissez-passer que le vin et le chocolat français faisaient mouche à chaque fois ! Installés dans notre compartiment, papa et grand- père n’avaient plus qu’à attendre la suite.

Le reste de la famille, les femmes et les enfants, partait en début d’après-midi de Chambéry. Arrivée à Porta Nuova vers dix-sept heures. Les hommes étant en embuscade dans le train encore au dépôt, les femmes se chargeaient des valises et des cartons. À la descente à Torino, trouver il facchino était leur seule préoccupation et négocier le prix de la course, pour se transporter sur le quai du grand départ, celui vers la Calabre. Il treno del Sole partait autour de vingt-et-une heures le soir, mais il était à quai dès dix-neuf heures. Au fur et mesure que l’heure de la mise à quai approchait, la foule grandissait pour devenir un océan, où se retrouvaient tous les méridionaux en transit par Torino. La rumeur initiale devenait de plus en plus forte, expression de la tension et des craintes du moment : trouver une place pour éviter de voyager une nuit entière debout. Cet océan vrombissait d’intonations bien de chez nous. L’usine FIAT venait de fermer ses portes pour les vacances de fin d’année, libérant ainsi toute cette main d’œuvre à la recherche du réconfort de sa propre terre et de sa famille.

Voilà, le train se met en place. Nous avions donc pour consigne de rester à l’écart des mouvements de la foule qui se jetait littéralement sur les portières alors même que le convoi n’était pas encore à l’arrêt. Certains même escaladaient pour entrer côté fenêtres. Des cris, des hurlements pour se frayer un chemin. Les hommes étaient en avant pour trouver la bonne place. Papa et grand-père attendaient la fin de cette invasion en lançant régulièrement des tutto occupato. Une fois le mouvement calmé, mon père descendait à notre rencontre pour charger les bagages. Valises et cartons remplis de sucre, chocolat, café, mais aussi de victuailles collectées tout au long de l’année au jardin potager et mises en conserve : aubergines, courgettes, choux-fleurs à l’huile, cornichons... De quoi offrir à chaque cousin et ami, pour démontrer aussi que la culture culinaire calabraise avait une continuité de l’autre côté des Alpes. Voilà, nous étions fin prêts pour le départ, deux heures à attendre et pourtant encore un moment important nous attendait.

Un moment fort avant le départ était notre sortie de la gare pour retrouver le pizzaiolo de via Roma. C’était un temps important pour nous, enfants. Grand-père appelait mon frère et moi dans le corridor du train, pour éviter d’attirer l’attention du dernier de la fratrie encore trop jeune. On savait ce que cela voulait dire. Il fallait traverser tout Torino Porta Nuova. C’était la plus grande gare que nous avions jamais vue. Plus de vingt quais alignés, pleins à craquer d’immigrés sur le retour au pays pour les fêtes de Noël. Au bout de ce quai interminable, l’immense hall de gare paré de marbre. Nous ne devions pas trop nous éloigner et ne pas perdre de temps. Sortis sur le parvis de la gare, on traverse il corso Vittorio Emanuele pour s’engouffrer via Roma. Le ballet des trams orange turinois nous ébahissait toujours autant. Pour nos yeux d’enfants, ce sont des vrais jouets pour adultes. Il pizzaiolo se trouvait juste à l’entrée de via Roma. Ravitaillement pour la soirée et pour la famille. À la sortie, passage obligé à la pâtisserie sicilienne située juste en face. Achat de quelques cannoli pour tenir la nuit. Allez, on rentre, il se fait tard. Un détour à la fontaine de la gare pour un lavage de mains avant de déguster notre premier plat italien depuis le retour des vacances d’été. Nonna et maman nous attendaient de pied ferme, et bien sûr grand-père avait eu son sermon quotidien. Les reproches classiques : tu as fait le tour de la ville, ces pauvres gamins doivent être fatigués... C’était un rituel du soir chez mes grands-parents.

On entend le coup de sifflet du chef de gare, le train s’ébranle difficilement, on ressent le plaisir de toutes ces personnes et surtout leur hâte que tout se termine, car elles sont pour la plupart très mal installées. Après avoir avalé notre pizza et notre cannolo, plongés dans l’ambiance du voyage, nos parents nous racontent leur premier trajet. Pas si vieux que cela début, des années 1960, encore avec des locomotives à vapeur. Et la découverte de la Savoie avec comme premier arrêt Modane, sous la neige. Une rencontre, un traumatisme avec le froid de ce pays de montagne. L’heure avançant, le couvre-feu est décrété, nous venions juste de partir d’Asti, déjà une heure de voyage. Extinction des lumières et silence dans le compartiment.

Le réveil était en apothéose. Le matin autour de sept heures nous arrivions à Napoli. Personne sur le quai, et pour cause, tout le monde continue encore plus au sud. Le cri des guaglione nous tire de notre sommeil. Ces jeunes adolescents, panier à la main, vantent les mérites de leur pizza : la vraie, quella di Napoli. Une simple garniture soit d’anchois soit de mozzarella, mais rien de plus et l’odeur de l’origan. Nous, curieux, on ouvre la porte du compartiment pour accéder à la vue. Nonna la referme aussitôt : « Il y a le choléra, non aprite ! »

On repart de Napoli et on longe la côte Amalfitaine. On voit la mer pour la première fois durant ce voyage, entrecoupée de longs trous noirs des tunnels. C’est l’extase, elle nous accompagne, maintenant, jusqu’au bout du voyage. La fatigue commence à se faire sentir, mais le réconfort se trouve à moins de cinq heures. Salerno, Battipaglia, Sapri, Maratea, Scalea. Voilà, nous sommes en Calabre, s’exclame grand-père. C’est comme si nous étions arrivés et pourtant encore trois heures à tenir. Cela devient interminable. Lamezia Terme, le grand-père nous approche du finestrino : « Regardez, le temps est clair, nous devrions voir Stromboli ». Un panache de fumée au loin nous laisse imaginer cette montagne sacrée d’Éole. Le train file, l’heure aussi. Gioia Tauro, Palmi, Bagnara, Scilla, voilà la Sicilia et son pylône la reliant au continent. Grand-père prend le temps de nous raconter l’épisode d’Ulysse. Le choix entre les deux monstres du détroit Cariddi e Scilla (Charybde et Scylla). Ulysse s’en sort encore une fois !

Nous voilà arrivés à Villa San Giovanni, dernière gare avant Reggio. Un moment important du voyage. Pour les Siciliens, c’est le moment important où ils vont retrouver leur île. Le train est découpé en tronçons de quatre wagons. Chaque tronçon va être enfourné avec minutie dans le ferry qui attend la gueule grande ouverte.

Pour nous, plus qu’un quart d’heure avant la délivrance. Le train file sur le lungomare, on voit Messina de l’autre côté du détroit, le soleil est là pour nous accueillir ! Reggio Calabria Centrale, le quai est bondé, la famille, les oncles, les cousins, tous sont là pour accueillir les travailleurs du Nord. Des cris, des pleurs, des applaudissements, les fêtes de Noël peuvent commencer.

Année de recueillement du témoignage
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Emigrazione italiana ritratto di una famiglia polacca in Sicilia

Emigrazione italiana ritratto di una famiglia polacca in Sicilia

Nel quadro dei miei studi in LEA all’università Paul-Valéry a Montpellier, abbiamo un corso sulla Civilizzazione Italiana. All’interno di questo corso, abbiamo ripercorso le grandi linee della storia dell’emigrazione italiana : le principali destinazioni e i punti di partenza, i differenti flussi migratori e anche qualche statistica. L’emigrazione italiana è un fenomeno sociale che riguarda sopratutto gli anni 1861-1976 del XX secolo. Circa 30 milioni di italiani hanno deciso di lasciare il loro Bel Paese per migliorare la loro situazione economica. Stati Uniti, Francia o Svizzera, ecco qualche territorio dove gli italiani si sono stabiliti per realizzare i loro sogni. A livello statistico, un terzo degli emigrati non sono mai ritornati in Italia. Tuttavia, è importante sapere che l’emigrazione riguarda anche gli stranieri che, per un motivo o per un altro, si sono trasferiti in Italia lasciando il loro paese di origine. Questo dossier descriverà il ritratto di due persone che vivono in Italia da più di 25 anni; mia zia polacca Maria e sua figlia Kinga. Nei capitoli seguenti, Lei troverà due questionari con le domande specifiche che ho posto durante le interviste e anche le risposte che la mia famiglia mi ha fornito. Alla fine, scoprirà la conclusione dove ho descritto le mie reflessioni sull’emigrazione nel XXI secolo. La invito caldamente a scoprire la storia polacco-italiana sotto il sole siciliano.

 

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